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Amine Diouri : la force de la loi 69-21 sur les délais de paiement réside dans la tierce partie

30 janv. 2024 Eco Actu

EcoActu.ma : Premièrement un commentaire aussi bien sur le dernier rapport de l’observatoire des délais de paiement que des pronostics d’inforisk sur le poids du crédit interentreprises dans la hausse de la mortalité des entreprises ?

Amine Diouri : Dans le rapport de l’Observatoire des Délais de Paiement, Inforisk (en partenariat avec la CGEM), est l’auteur des chiffres relatifs aux délais de paiement du secteur privé. Ces mêmes chiffres sont venus étayer la loi 69-21 sur les délais de paiement.

Notre contribution au rapport annuel de l’ODP met en avant les points suivants :

Au cours de ces 10 dernières années, le message d’Inforisk a toujours été de sensibiliser les acteurs politiques et institutionnels de la menace que représentait l’allongement des délais de paiement sur la viabilité de notre écosystème d’entreprises.

Nous créons beaucoup de sociétés chaque année, mais l’environnement des affaires est à ce point compliqué (délais de paiement, fiscalité des entreprises, accès aux marchés publics…) que beaucoup d’entreprises ont du mal à atteindre le cap des 5 ans d’existence.

EcoActu.ma : Des années durant, la communauté économique a fondé de grands espoirs de voir aboutir un cadre réglementaire pour résoudre définitivement la problématique des délais de paiement. Néanmoins la loi 69-21 dès son adoption a soulevé des appréhensions, particulièrement les détails de la circulaire 734. Quelle évaluation en faites-vous maintenant que nous en sommes à la deuxième phase transitoire de sa mise en œuvre ?

Amine Diouri : Cette loi présente à mon sens de nombreux atouts dans la lutte contre les délais de paiement. Pour bien se les représenter, il faut reprendre l’historique des précédentes lois. Pourquoi les lois 32-10 (2011) et 49-15 (2016) n’ont pas marché ?

Nous étions dans un rapport de force déséquilibré entre un client et son fournisseur. Ce dernier pouvait se retrouver en position de faiblesse par rapport à une grande entreprise cliente.

Malgré le retard de paiement pratiquée de manière intentionnelle par la GE, le fournisseur ne pouvait prendre le risque de rompre la relation commerciale en appliquant des pénalités de retard.

Avec la nouvelle loi, une tierce partie (la DGI), pénalise directement l’entreprise qui paie en retard.

Et c’est là que réside la force de cette loi, qui s’inspire de ce qui se fait en France notamment avec la DGCCRF.

Maintenant le principal risque que je vois par rapport à cette nouvelle loi 69-21 réside dans son périmètre d’application : les factures antérieurement émises avant le 1er juillet 2023 ne sont pas concernées.

On peut très logiquement considérer que les entreprises seront concentrées sur le fait de payer en temps et en heure les factures émises depuis cette date, et payer les autres avec du retard.

EcoActu.ma : L’un des faits marquants est que ce sont les TPE qui supportent le plus le poids du crédit interentreprises, ce qui concorde avec les résultats des différentes analyses d’Inforisk à savoir que les défaillances se concentrent sur cette catégorie d’entreprises. Après la première phase transitoire de l’entrée en vigueur de la loi sur les délais de paiement, est-ce que cette tendance aiguë commence à changer ? 

Amine Diouri : Il est encore trop tôt pour répondre à cette question. En théorie, la réponse est clairement oui.

Les TPE devraient être les principales bénéficiaires de la loi. Leurs délais de paiement devraient commencer à baisser.

Mais je pense que l’impact ne se verra que dans quelques années, quand le stock de crédit interentreprises anciens sera entièrement apuré.

EcoActu.ma : Vous avez toujours soutenu que la coercition/sanction est élément clé dans la problématique des délais de Paiement. Le cadre réglementaire actuel notamment les sanctions contenues dans la loi 69-21 apporte-il une réponse efficiente à la problématique ?

Amine Diouri : Oui, effectivement, j’ai toujours pensé que la sanction était la seule façon efficace dans le cadre de la loi de lutter contre l’allongement des délais de paiement. Et il est vrai que la loi 69-21 punit sévèrement le moindre retard (3% le premier mois puis 1% additionnel chaque mois). Une seule journée de retard et le compteur commence à tourner pour le client.

Par ailleurs, la liste des mauvais payeurs sera communiquée à l’Observatoire des Délais de Paiement, qui pourra décider de publier cette liste. Nous appliquerions alors le principe du Name and Shame.

Maintenant, la problématique de la lutte contre les délais de paiement n’est pas uniquement focalisée sur la loi. De manière opérationnelle, une entreprise qui souhaite réduire de manière drastique son DSO doit se concentrer sur plusieurs autres points liés à son recouvrement. 

La data tout d’abord, permettant d’évaluer le risque de contrepartie (risque d’impayé ou de retard de paiement) de son futur client. Pour cela, il faut disposer des données légales, juridiques et judiciaires, financières, de data sur les comportements de paiement des entreprises…

Les process internes ensuite, notamment pour tout ce qui concerne le recouvrement des factures en retard. Il faut savoir que les entreprises travaillant avec des process de recouvrement manuels, consacrent 67% de temps de plus que les sociétés utilisant des process automatisés.

Troisième facteur d’optimisation du recouvrement, l’utilisation de plateformes intelligentes, combinant intelligence artificielle et le big data, et permettant à l’entreprise de définir des scenarii de relance automatisée visant à faciliter leur vie au quotidien, et à réduire leur DSO.

EcoActu.ma : Le caractère de progressivité de la loi ne permet d’en juger actuellement toute l’efficience. A votre avis, quand serait-il possible d’en faire le bilan et quels éléments plaideraient son succès ou ses limites à résoudre cette problématique des délais de paiement ?

Amine Diouri : Je tiens à rappeler que, selon les données publiées par Inforisk, 80% du crédit interentreprises est « détenu » par les PME et GE.

Il était donc normal que ces entreprises soient les premières concernées dans l’application progressive de la loi.

Je pense que nous pourrons faire un premier bilan d’étape dans un an, après 4 déclarations consécutives. Mais je reste confiant sur les effets positifs de la loi.

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