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Investissement: En finir avec le dogme des ratios financiers

8 juil. 2020 L'Economiste

La crise du Covid-19 impose plus que jamais aux chefs d’entre­prise de se repenser. C’est tout le modèle d’affaires qu’il va falloir revoir, et pas seulement à la marge, prévient Johnny El Hachem, CEO de Edmond de Rothschild Private Equity. Ma conviction, ajoute-t-il, «est que les investisseurs devraient aller au-delà des critères ESG en affectant la même pondération à l’impact et à la résilience de leur projet que celle qu’ils affectent aux risques financiers».

- L’Economiste: En quoi la crise de la Covid-19 peut-elle impacter votre stratégie d’investissement?

- Johnny El Hachem: Non, elle ne va pas transformer notre vision. Au contraire, cette crise nous renforce plutôt dans nos convictions. Notre approche a toujours été de nous ins­crire dans une démarche de résilience en pariant sur les entreprises qui as­surent des services de proximité aux populations, des produits et services à fort impact qui améliorent la vie quo­tidienne des gens. Cette pandémie conforte par ailleurs notre choix de la proximité géographique. Les éco­nomies occidentales ont découvert à leurs dépens, les dégâts des excès de la mondialisation après avoir déloca­lisé massivement dans des pays très lointains. A travers le Maroc, notre pari sur l’Afrique est de faire profiter aux PME du continent des opportuni­tés offertes par les chaînes de valeur mondiales. D’ailleurs, avec Amethis, nous poursuivons avec succès la levée de 150 millions d’euros pour inves­tir entre autres dans les secteurs de la santé et de l’éducation comme nous nous y étions engagés avant la crise de la Covid-19. La part du lion de ce nouveau fonds est destinée au Maroc.

- Les chefs d’entre­prise sont appelés à se réinventer. Dans quels domaines voyez-vous cette remise en ques­tion?

- Sur tous les plans, et on ne parle pas ici seule­ment de changements cos­métiques. Nous devons tous repenser la mission de l’entreprise. On fera fausse route si l’on pri­vilégie toujours la maxi­misation du profit. Nous devons aller bien au-delà, c’est-à-dire gérer les im­pacts sociétaux et environ­nementaux sur toutes les parties prenantes, assurer la pérennité de l’entreprise pour plus de résilience, subvenir aux besoins vi­taux des populations, etc. Il n’est pas normal qu’il y ait tant de déficits d’in­frastructures de santé dans la plupart des pays qui affrontent la pandémie du coronavirus.

- Ce discours est-il audible chez les investisseurs en Bourse? Sou­vent, ils ne regardent que le taux de rentabilité…

- Il est temps d’arrêter cette course à la spéculation et au court terme. A chaque crise, les Etats répondent par plus de dettes, une charge que nous faisons supporter à nos enfants et pe­tits-enfants. La crise des subprimes en 2008 ressemblait à un patient frappé par une crise cardiaque et était circonscrite à la sphère financière. Elle a été traitée avec plus ou moins de succès. Celle du Covid-19 est, elle, beaucoup plus profonde car elle touche l’économie réelle. C’est tout le modèle d’affaires actuel qui atteint ses limites et qu’il convient de revoir. L’on ne devrait plus se baser unique­ment sur les ratios financiers, mais développer une vision industrielle pour être plus proches des besoins des populations et leur apporter des solutions concrètes. Ma conviction est que les investisseurs devraient aller au-delà des critères ESG en af­fectant la même pondération à l’im­pact et à la résilience de leur projet que celle qu’ils affectent aux risques financiers.

- Beaucoup de PME, qui for­ment votre coeur de cible, ne pour­ront pas se remettre de cette crise inédite.

- C’est inévitable. Il faut accep­ter de restructurer celles dont le modèle d’affaires est dépassé en leur apportant autant que faire se peut de l’accompagnement financier. Mais dans le lot de ces entreprises en dif­ficulté, tout le monde ne pourra pas être sauvé. Il ne faudra pas succom­ber au piège de l’acharnement théra­peutique. C’est le fonctionnement de toute économie libérale.


Relocalisations: Le Maroc tient une carte en main

Grâce sa proximité avec l’Europe, son choix de miser sur les partenariats à long terme dans les secteurs industriels-automobile, pharmacie, agro-industrie ainsi que son avance dans les énergies renou­velables, le Maroc a une carte à jouer dans la réorganisation qui se dessine dans le système de produc­tion mondial. A la faveur de la crise du Covid-19, l’extrême dépendance des entreprises européennes a accé­léré la réflexion sur les relocalisa­tions industrielles en Europe. Les gouvernements européens en sont tous arrivés à la conclusion que la mondialisation extrême a atteint ses limites. Le Maroc qui a su se pla­cer comme un hub vers l’Afrique, est bien positionné pour capter une partie de ces relocalisations, affirme Johnny El Hachem, CEO de Edmo­nd de Rothschild Private Equity. «A nous d’améliorer le climat des af­faires», complète-t-il car la compé­tition s’annonce très rude. Le Portu­gal, l’Espagne et les pays d’Europe centrale sont aux aguets.

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