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Pour un système fiscal au service de la réduction des inégalités

18 janv. 2021 Libération

«Pour assurer une relance économique dans l’après Covid, le Maroc doit absolument mettre son système fiscal au service de la réduction des inégalités», selon Oxfam Maroc.

Pour l’organisation internationale, il est aussi impératif pour le pays de « se doter des moyens nécessaires pour financer des politiques publiques plus justes, ambitieuses et redistributives », a-t-elle souligné dans un nouveau rapport qui décrypte en profondeur la fiscalité marocaine.

Dans ce document, intitulé « Fair Tax Monitor: Analyse du système fiscal marocain »,Oxfam Maroc soutient que « seul un système fiscal efficace, équitable et performant permettra au Maroc de mettre en place une politique de développement qui lutte efficacement contre les inégalités ».

D’après les auteurs dudit rapport, qui formule des propositions clés dans le contexte de la crise sanitaire qui a fait plonger les recettes fiscales et augmenter les dépenses sociales, la relance économique doit s’installer sur la base d’une assiette plus large et d’une fiscalité progressive.

Mais il faut, cependant, constater que «les recettes fiscales, qui représentent près de 85% des recettes du budget de l’Etat en moyenne entre 2000 et 2018, pèsent lourdement et de manière inéquitable sur une catégorie infime de la société comme c’est le cas de l’impôt sur le revenu (IR) qui fait une pression fiscale plus forte injustement exercée sur les salarié.es», a déploré l’organisation dans son rapport.

Comme l’a relevé Oxfam, qui est présente au Maroc depuis deux décennies, les statistiques officielles font état d’une contribution de l’ordre de 75% des salariés au total de l’IR au Maroc. Soit seulement 25% de contribution à la fois pour les revenus professionnels, fonciers, agricoles et des capitaux.

Autres constats relevés dans ce document : la pression de l’IR est supportée essentiellement par les revenus moyens, près de trois quarts de l’IR au Maroc sont payés, en effet, par 47% des salariés tandis que 56% de la richesse créée par l’économie est attribuée à la rémunération du capital contre 30% pour la rémunération du travail, et ce pour l’année 2018.

S’il est vrai que le Maroc a connu une croissance soutenue des recettes fiscales au cours des deux dernières décennies, il n’a pas échappé aux auteurs du rapport que « l’analyse de l’élasticité du système fiscal marocain pendant la même période montre que ce dernier est incapable de suivre sur le même rythme l’évolution de la richesse créée ».

Dans son rapport, l’organisation a également attiré l’attention sur le fait que le même constat a été fait récemment par la Banque du Maroc dans son dernier rapport sur « La capacité de mobilisation de recettes fiscales au Maroc » (décembre 2020).

Responsable du programme Gouvernance à Oxfam Maroc, Asmae Bouslamti pense que « la relance économique et sociale du Royaume ne doit pas être au prix de la réduction des recettes publiques car cela impacte l’ensemble du pays. Il y a des choix politiques à faire, notamment dans ce contexte de criseCovid19, c’est le moment de prioriser la génération de valeur réelle, la coopération et l’avenir de l’ensemble de la population ».

Mais, bien que l’organisation plaide depuis plusieurs années pour une réforme de la politique fiscale plus profonde qui apportera plus de justice sociale et des corrections aux inégalités, force est de constater que la restructuration globale et en profondeur de la politique budgétaire tant attendue dans la loi de Finances 2021 est une fois de plus reportée.

Ainsi que l’a déploré le rapport, si nombre de pays ont fait des choix radicaux pour faire face aux conséquences de la pandémie, tout porte à croire que «le gouvernement reste hésitant dans les réponses qu’il apporte pour faire face aux priorités économiques et sociales du pays dans cette période de crise ».A savoir: préserver le tissu économique, protéger les emplois, financer les services publics essentiels et s’attaquer au secteur informel qui fait vivre les 2/3 des ménages et qui a été gravement touché.

Dans le contexte actuel, Asmae Bouslamti estime qu’élargir l’assiette fiscale pour rendre plus juste la contribution de l’ensemble des acteurs économiques est un des grands défis pour le Maroc. A ce propos, elle rappelle que « la taxation sur la richesse est l’un de ces moyens qui a été recommandé depuis les Assises de la fiscalité 2013 et confirmé en 2019 ».

Ainsi, elle soutient qu’«il n’est plus question de repousser à nouveau une mesure qui donnerait de l’espoir aux populations démunies et constituerait un tournant qui permettrait au système fiscal marocain de mobiliser des recettes et d’être plus juste et progressif ».

A noter que si un impôt de solidarité sur la fortune avait été adopté à 5%, les revenus générés ( sur les données de 2019) auraient pu être suffisants pour presque doubler les dépenses du Maroc pour sa riposte au coronavirus, d’après le rapport qui cite les estimations d’Oxfam.

Quoi qu’il en soit, les défis budgétaires actuels et la crise sanitaire de 2020 montrent à quel point il est nécessaire d’adopter de nouvelles mesures fiscales à même de renflouer les caisses de l’Etat, a noté Oxfam.

Poursuivant sur le registre des propositions, « la taxation des hauts revenus et des grosses fortunes figure parmi les actions nécessaires pour limiter le creusement des inégalités et alléger la pression exercée sur les faibles et moyens revenus », a souligné l’organisation estimant par ailleurs que la taxation environnementale est une piste qui mérite d’être exploitée.

En outre, le rapport fait remarquer que « le rôle de la fiscalité est absolument décisif. Sans décision forte de la part du gouvernement, le risque que le pays retourne vers l’austérité est grand, et donc une montée de la tension sociale et des inégalités ».

Pour rappel, l’organisation Oxfam Maroc intervient dans les domaines en lien avec les « Droits et participation sociale et politique des femmes», la « Citoyenneté active et société civile » et le « Développement social et économique des zones rurales et promotion d’un tourisme durable ».

Précisons qu’à travers son rapport sur la politique fiscale, Oxfam Maroc dit espérer «relancer le débat entre les acteurs politiques, économiques et sociaux pour entamer les vrais chantiers de changement qui doivent être au cœur de la réforme du modèle de développement et les programmes politiques des prochaines élections ».

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